« Philosophe et poète » ? – On m’accole souvent cette étiquette. Que je préfère barrée, tant elle me semble pompeuse et emphatique.
Je ne peux nier néanmoins que les livres que j’écris se partagent entre philosophie et poésie (quand ils ne mêlent pas les deux).
J’assume par contre pleinement la conjonction (« philosophe et poète »). Je n’ai jamais voulu choisir, ne voulant renoncer ni au est de l’ontologie ni au il y a de la poésie.
Près de quinze années d’engagement militant (je fus « maoïste », version « marxiste-léniniste ») m’ont tenu très éloigné de la philosophie et de la littérature. J’y suis revenu sur le tard, résolu à conjuguer l’invitation de Rimbaud à « changer la vie » et l’appel de Marx à faire de la philosophie une arme en vue de la transformation du monde.
Dans mes essais, je n’ai cessé de revenir sur la question du pourquoi, aujourd’hui, de la poésie. Pourquoi encore la désirer quand le monde tel qu’il va semble lui dénier toute importance ? Peut-elle contribuer à une habitation non mortifère de la terre ? Peut-elle avoir avoir une vertu écopoétique ? Quelle est sa façon singulière, spécifique, de suggérer l’invention de formes de vie expérimentables hic et nunc et capables de donner une autre qualité (une autre intensité, une autre vitesse – ou lenteur) à l’existence ? Toutes ces questions, je les ai posées à partir d’un état des lieux, adossé à toute une bibliothèque, m’astreignant à lire de près poètes et prosateurs, philosophes et essayistes, spécialement ceux d’aujourd’hui qui me paraissent les plus inventifs, les plus singuliers, les moins captifs de l’époque.
Mais je n’ai pas seulement voulu, avec la philosophie, soustraire la poésie à l’absolutisme du texte pour la réintroduire dans le mouvement vivant de l’existence. Parallèlement, écrivant des livres dits de « poésie », j’ai aussi voulu explorer les contrées du réel et du vécu les plus rétives à la prise du concept. J’ai tenté et continue de tenter, par le travail de l’écriture et l’attention aux mouvements de la langue, de retrouver la fraîcheur évanescente du sensible ; tenté d’approcher, en toutes ses nuances, l’intensité de vivre, afin de faire vibrer, de l’existence, une corde lyrique inaperçue parce que déniée souvent par l’époque.
(Photo © Bruno Barlier)